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Un Sheikh qui n'évoque pas les malheurs des Irakiens...

On a peine à y croire. Le Monde qui laisse s'exprimer une personne, irakienne de surcroît, qui ne fasse pas partie des anxieux, des moqueurs, et des outragés, de ceux, occidentaux ou orientaux, qui se tordent les mains en répètent toutes les litanies habituelles contre la politique "simpliste, rétrograde, belliqueuse, fourbe, etc" de Washington. Mieux (bien mieux), le sheikh — car c'est bien d'un sheikh qu'il s'agit (et pas des moindres, puisqu'il se trouve être la plus haute autorité religieuse chiite d'Amérique du Nord) — démolit systématiquement tous les préjugés qu'on entend à l'encontre des Américains, tant dans le monde des "humanistes" français et des "pacifistes" occidentaux que dans le monde arabe et/ou musulman. Sans doute les rédacteurs du quotidien du soir n'ont-ils pas pris conscience de l'ampleur des paroles de Fadhel Al-Sahlani, ou ils ne les auraient jamais publiés.

Pourtant, Eric Leser fait de son mieux, en sortant tous les arguments pseudo-humanistes habituels, pour "piéger" l'imam de la congrégation Al-Khoei, à New York et lui faire "voir la raison". (C'est aux USA que s'était réfugié Fadhel Al-Sahlani après avoir fui le régime de Saddam Hussein ; il a été interviewé alors qu'il rentrait d'un long séjour dans son pays natal.) Pour cela, le correspondant du Monde dans la Grande Pomme sort toutes les armes habituelles de l'arsenal ("Il y a six mois, vous vous réjouissiez de la fin prochaine du régime de Saddam Hussein, disant que pour les chiites, "l'ennemi de mon ennemi est mon ami". Est-ce toujours le cas ?" ; "Mais c'est une véritable guérilla qui s'oppose à la présence américaine..." ; "Et les attentats quotidiens ?" ; "Rendre vite le pouvoir aux Irakiens permettrait de réduire la violence ?" ; "Mais un chef chiite ... s'oppose à l'occupation et a annoncé la formation de son propre gouvernement...") Mais l'imam ne se laisse pas faire. Et ne laisse pas dire n'importe quoi.

Extraits de l'interview du 28 octobre 2003 (toutes les bribes de phrases soulignées [en bleu et/ou en italiques] l'ont été par moi) :

...Vous savez, les gens sont tellement heureux de ne plus craindre d'être enlevés, torturés et de disparaître du jour au lendemain. Ils ont maintenant une totale liberté religieuse et peuvent s'exprimer et manifester comme ils l'entendent. J'ai pu me rendre dans les lieux saints chiites sans que personne ne me contrôle : c'était inimaginable auparavant. En dehors de la zone sunnite et de Bagdad, les choses s'améliorent dans le reste du pays. [La déclaration de Fadhel Al-Sahlani semble aller dans le même sens que le point de vue de Paul Bremer comme quoi 90% des attaques sur les forces de la coalition surviennent sur 5% du territoire irakien.] La vie économique redémarre. Il y a des denrées sur les marchés. L'eau et l'électricité sont revenus. Il y a enfin et surtout l'envie de reconstruire. Ceci dit, le pays est dans un état lamentable et la dernière guerre n'y est pas pour grand-chose. A Bassora par exemple [où Fadhel Al-Sahlani est né], il n'y a pas eu plus de 10 à 15 bâtiments endommagés par la guerre. En revanche, rien n'a été entretenu ou réparé depuis des années, des décennies.

Répondant à l'argument protestant que "c'est une véritable guérilla qui s'oppose à la présence américaine", Fadhel Al-Sahlani met les pendules à l'heure :

Le terrorisme est le fait d'anciens membres des forces de sécurité de Saddam, du parti Baas ou de la Garde républicaine qui se sont cachés dans la population civile et n'ont pas été pourchassés à la fin de la guerre. Ils profitent du chaos et de l'abondance des armes pour mener assez facilement une guérilla. Ils sont aussi aidés par certains voisins de l'Irak qui n'ont aucun intérêt à ce que ce pays soit prospère et démocratique. Enfin, les ennemis des Etats-Unis, à commencer par Al-Qaida, profitent également de la situation pour faire de l'Irak un champ de bataille. Clairement, la Syrie, certaines sectes religieuses en Arabie saoudite, qui n'ont sans doute plus aujourd'hui l'appui du pouvoir, n'ont pas intérêt à voir à leurs frontières un Irak stable et pacifique.
Eric Leser insiste : sans doute "Rendre vite le pouvoir aux Irakiens permettrait de réduire la violence ?"
J'en doute. C'est une idée de diplomates très éloignés de la réalité [répond l'imam (sans préciser s'il pense surtout aux chefs de file de la diplomatie française, allemande, ou autre) et qui ajoute qu'il] faudra deux à trois ans au moins pour stabiliser le pays.
Le correspondant du Monde à New York sort sa dernière carte : "Mais un chef chiite, Moqtada Al-Sadr, s'oppose à l'occupation et a annoncé la formation de son propre gouvernement..." La réponse de Fadhel Al-Sahlani s'adresse à tous, humanistes, pacifistes, et sympatisants du monde arabe :
Ces gens sont manipulés par des ennemis de l'Irak. Les Irakiens en ont assez de ces discours vides de sens sur le nationalisme, l'unité arabe, le combat contre l'Occident responsable de tous nos malheurs. Pendant trente ans, nous avons entendu ce genre de rhétorique. Elle nous a menés là où nous sommes aujourd'hui. La très grande majorité des chiites et des Irakiens ne veulent plus entendre ces paroles vides. Ils veulent de bonnes relations avec leurs voisins, avec l'Occident et une vie meilleure pour eux et leurs enfants.



© Le Monde

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